De l’indicible volupté

Ecrire pourquoi j’écris est un exercice de style ardu. “Pour le Plaisir” est une réponse complète, pourtant.

Un jour, j’ai mesuré la force de mon regard. Comme un éclair de lucidité, un moment d’égarement, quand on oublie les fausses pudeurs et les discours conventionnés.

J’ai le souvenir, enfant, de nombreux commentaires autour de mes yeux, clairs, cerclés de sombre. Le double regard. La lumière et la nuit. Puis j’ai vu les réactions des humains autour de moi, qui ne voyaient pas les mêmes choses que moi. Etait-ce notre réalité qui différait ? A priori non. Aux mêmes situations, aux mêmes révoltes, nous n’avions pas les mêmes réponses. Aux mêmes joies, nous n’avions pas les mêmes émerveillements. C’est ainsi, et c’est heureux.

Les larmes m’ont noyées souvent, en regardant les films d’hier, les séries gentilles et les comédies faciles. J’ai pleuré en regardant le journal, aussi. Et d’émotion à chaque vie naissante, à chaque rencontre nouvelle où je voyais l’étincelle dans l’œil de l’autre, ami, sœur ou amant.  Je n’ai jamais les mains moites. Je ne rougis plus depuis longtemps. Je n’ai pas la gorge sèche. Mon œil a le monopole de l’émotion visible, comme ma peau celui de l’amour.

Aux fantômes des rues, je donne mes plus beaux sourires, comme si la simple intention pouvait changer le monde. Aux cyniques et défaitistes, j’offre alternatives, j’invente solutions. Aux rêveurs, le lourd parpaing de la réalité. Toujours le contrepoids de l’alterité.
Comment l’autre vit-il ?
Comment l’autre aime-t-il ?
Comment l’autre sent-il ?
Est-ce que la culture nous représente la vie telle qu’elle est ?
Est-ce que les livres nous racontent l’image du monde ?
Est-ce que le désir ne peut osciller qu’entre Barbara Cartland et Marc Dorcel ?
Évidemment non.
Évidemment mille fois.

Mais pourquoi alors que toutes les gammes des émotions humaines trouvent écho de si multiples façons dans l’art, la littérature, le cinéma, pourquoi plaisir et désir y sont-ils souvent si caricaturaux ? N’y a-t-il place pour joie, émoi, frisson, joliesse, rudesse, pour poésie, humour, tendresse, sueur, frénésie, sans tomber dans la facilité ou le code social ? Là où le verbe est absent, il y a pourtant tant d’étincelles à découvrir…. La photographie, la peinture ont rendu par tant de nuances le corps exultant. Notre langue, pourtant si belle, se doit d’inventer le dire qui honore telles joies.

Je ne veux pas accepter l’abandon, les complaintes stériles. J’ai côtoyé des humains qui passaient plus de temps à se plaindre qu’à tenter de changer les choses. J’ai mordu qui renonce, quitté qui s’économise. Je suis toujours le con entre deux joies, le cul entre deux chaises, à écrire anonyme mais chercher la reconnaissance, à vouloir être aussi indépendante que foncièrement liée, à aimer le sein d’une femme autant que le membre  viril.

Jusqu’il y a peu, je n’avais pas de chair. J’étais un personnage sans réalité, sans existence. Un soir, un homme a dit mon nom, fort, au milieu d’une assemblée inconnue. C’était monsieur Bibliocratie. C’était la première fois qu’on disait mon nom, fort.  Qui nomme donne vie. J’ai donc pris matière, j’ai pris corps, j’ai pris existence. J’ai pris la mesure de mon urgence à dire, moi aussi, à nommer, à partager, à donner un peu de ce regard, écorcher la facilité en partageant ce que je fais de mieux hormis les cookies au chocolat, écrire.


Ne t’engage sur ma route, à mes côtés, que si ce meilleur est un challenge, et que tu peux donner à même foi, sans rien garder, sans trainer, sans hésiter.

Si tu ne peux pas prendre le risque de basculer vers le doute permanent et la fragilité, si tu as peur de la brûlure de ma peau, reste loin de moi, ne me promets pas une lune que tu ne peux m’offrir, ne viens pas danser sous l’orage avec moi. Regarde depuis la fenêtre et rêve, mais n’approche pas. Mes crocs de louve blessée sont mauvais, sans pitié.

Quelques-uns autour ont eu l’audace et la folie de caresser ma peau d’âme sauvage, ont nourri et questionné. Mes piliers fragiles, mes forces tranquille, inconscients parfois, tenaces à d’autres. Et les élans de nos vies ouvrent les mots, et le désir peut prendre corps là, dans l’imaginaire, dans ce territoire vierge ou dépravé, dans cet entre-deux ni vie ni vide.

Les mots sont ceux de mes yeux, tournés vers le dedans de l’être, juste goutte d’éphémère, polaroïd des fragments de ce plaisir à déposer la raison un instant, pour l’ivresse d’une jouissance physique qui nous laisse chairs à vif, repus, et pour un instant, apaisés.

Les mots tombés du lit : regarder, nommer, le beau et le sexe, volatil émoi

(Si tu veux, tu peux toujours t’offrir mes mots d’envie sur Bibliocratie