D’un blanc virginal

J’ai attendu ce rendez-vous longtemps. L’homme, l’idole, le maestro… Comme une enfant attend son premier vélo, comme un jeune homme espère sa première jouissance partagée, comme j’ai glissé les doigts entre mes cuisses pendant des années, aux rythmes des fantaisies qui hantaient mes nuits.

Rencontrer l’intouchable, et lui confier mes courbes.

Au bar de l’hôtel, pour patienter, je sirote un café corsé, et un de ces petits sablés français aux saveurs délicieuses. A l’heure dite, un jeune homme vient me chercher, solennel. Deux étages dans un ascenseur aux allures d’antiquité. La double porte capitonnée, le cuir au mur, le bois chaud. Une voix, glaciale. Entrez, déshabillez-vous. J’ai posé ma jupe de laine, mes collants fins, mon chandail.  Je suis debout quasi nue au centre d’une immense chambre luxueuse. Et je suis coton rose.

Comment peut-on, pour un tel rendez-vous, oser le coton rose ? J’aime rêvasser, certes. Mais la guêpière aurait trahi mes pensées.  

Presque agacé, l’homme enlève sans plus de manière, la coupable petite culotte. Ne bougez pas, Mademoiselle. Pendant quelques longues minutes, il m’observe, regard comme tison, nuque, menton, seins. Ventre, toison. Genoux. Pieds. Il  grogne, sans doute un acquiescement, ou une idée. Il a sorti son mètre étalon, attentif, presque doux. Épaules. Ses lèvres délicates soufflent dans mon cou, les chiffres, les angles, les textures. Vous avez la peau abricot. De ces délices de pêches qui fondent sous la langue, de ces arrondis indécents qui réclament caresses. Je rougis, Monsieur.

Consciencieusement, il a mesuré mon cou, mes côtes, et noté sur ma peau, au bord du téton, au creux de l’oreille, les chiffres du ruban.

Je voudrais juste que tout soit parfait, ai-je dit. Il m’a regardé au creux des seins en soupirant. Oh Mademoiselle, n’auriez-vous pas cette foutue envie que je vous retourne là, sans plus de façons, que je vous prenne rudement, entre la douche et le lit ? J’ai souri. Je souris toujours, il n’y a pas de jolie façon de dire oui.

Colonne vertébrale, ses doigts courent, puis reins, puis fesses. Il tend, pare, drape, marque, voile, et tulle, hésite puis soie. Vous serez soie et velours, comme fille de joie au cabaret de la vertu. A chaque point, un chiffre, à l’encre rouge.  Écartez légèrement les cuisses, je vous prie. Il tend son mètre et mesure, de cheville à fesse, le galbe de ma jambe, le moite de mon ventre. La main du couturier se fait maîtresse, inattendue caresse. Je sursaute, juste un peu. Ceci vous plaît, n’est-ce pas ? Je souris encore.  L’index glisse entre mes lèvres, comme l’audace de l’homme agenouillé. Sa langue désormais. Et mon râle, et puis mon cri, quand sa main presque entière a disparu dans ma chair.

J’ai fermé les yeux.

Nous avons goûté.

Nous avons joué.

Nous avons aimé, aussi, vraiment. Au sol, sur le tapis de laine, sans un mot, sans un sourire, comme baisé.

Nous avons somnolé.

Et soudain le vertige.

Son corps était encore moite encore. J’ai regardé le plafond longtemps, évasion de l’esprit, surtout ne pas abuser. Pars, pars s’il te plaît. Fuis, c’est maintenant ou jamais.

Mais alors, ce que j’ai aimé le goût salé de son cuir, son odeur sous mon nez. Que j’ai aimé la rudesse de sa voix, sa langue indécente, ses doigts palpitant dans mon ventre. Que j’ai aimé son sexe raide dans ma bouche et son plaisir bruyant.

J’ai aimé jusqu’au doute.

J’ai rejoint ma chambre, quelques étages plus haut, comme une voleuse de plaisir, femme sans parole. Partout, ma peau porte les stigmates du plaisir. Faire comme si de rien n’était. Ne pas regretter. Ne pas trébucher.

J’enfonce mon corps dessiné dans l’eau brûlante. Le soleil est encore haut, et se joue des ombres dans la salle de bain. Je caresse doucement la pâleur de mon ventre, pince et malmène ce corps qui n’a pas assez joui, je voudrais le frisson. Je voudrais encore de ce regard, de ce feutre rouge qui dessine l’armure de mon plaisir. Oh, Monsieur… Avez-vous suffisamment mesuré mes cuisses ? Avez-vous vu, quand je respire, combien ma poitrine a besoin de plus de soie ? Et combien, quand mon sexe soupire, je voudrais plus de doigts…

Quand la porte s’ouvre, j’espère un instant, que ce soit le tailleur, et ses yeux froids. Le visage de mon fiancé apparaît, souriant, intimidé.

As-tu vu ce fameux couturier? As-tu choisi ta robe ?

Presque candide, j’ai répondu.

Elle sera blanche, bien sûr. Il tient à la livrer lui-même, avant la cérémonie.

A la surface de l’eau, la lumière scintille, et bute sur mon sein, comme ricochet.

 

Nouvelle écrite dans le cadre du Prix de la Nouvelle Érotique  2016

1 commentaire sur “1”

  1. “Il n’y a pas de plus belle façon de dire oui”.
    Ces mots paraissent tous simples.
    Et ils parlent si fort.
    Le sourire, le sourire qui dit tout, qui cache tant. Le sourire dont on se souvient si longtemps.

    Merci chère Nora d’avoir veillé pour nous donner à lire cet essayage enchanteur.

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