De la cité

C’est dur, douloureux, le fil de l’écriture qui casse, et la panique d’être au monde, dans ce monde. Et des gens votent, et d’autres réclament de pouvoir décider par eux-mêmes de leur choix de vie, de leurs espoirs, des règles qu’ils partagent, de leurs lois. Car en somme, le choix politique, originel, est bien celui-là : donner blanc seing à l’un, à l’une, pour décider du mieux qu’il peut, en faisant honneur à ceux qui l’ont désigné, des règles que nous partageons, et de la façon dont nous utilisons la cagnotte commune, les impôts.
Et cette confiance, ce mandat que nous donnons, il exige à mes yeux, l’humilité du messager, du représentant. Un élu n’est pas là pour la jouer perso. Il représente des milliers de personnes. Qui l’ont choisi sans doute sur sa tête, sur les quelques idées qu’il a peut-être développé en campagne, sur son expérience ou ses talents. Ca ne lui donne pas mandat pour faire n’importe quoi. Il y a ce petit truc qui gratte, cette exigence, cette seule motivation à garder bien en tête.
Etre réélu ? Non.
Avoir du pouvoir ? Non.
Marquer l’histoire ? Non plus.

Œuvrer au bien commun.

Oh merde alors.

Bien sûr, selon la notion de bien ou de mal de chacun, selon la définition du bonheur, du nécessaire, selon que l’on croie en dieu, en l’argent, en l’humain, en soi, en l’autre, en l’ici, en l’ailleurs, selon la morale donc, ce qui définit ce bien commun sera très variable.

Et j’angoisse. Moi, ce que j’aime par dessus tout, c’est la liberté. J’espère le bon sens, la gestion correcte et saine, je crois que tous, ça veut dire chacun, et que le bonheur de tous passe donc par le bonheur de chacun, que la santé de tous passe par des soins accessibles à chacun, que l’éducation de tous passe par l’école de chacun. Je continue ? Non, vous êtes intelligents, vous avez compris.

Je crois aussi que chacun a foncièrement, viscéralement, le droit de croire à ce qu’il veut, tant qu’il ne met pas en danger l’autre, qui a évidemment, bisounours oblige, pardon pour les extrémistes de tout poil qui me lisent, et en même temps je doute que mais bon on ne sait jamais, bref, l’autre donc a droit à exactement la même liberté, et à la même garantie que cette liberté ne sera pas mise à mal. Il a droit à la garantie que ses droits – de se loger, de se nourrir, de travailler, de se déplacer, etc. – humains seront respectés.
Je suis de gauche  ? Je ne sais pas.
Je suis de droite ? Je ne sais pas. Je ne crois pas.
Je ne suis foncièrement de nulle part. J’ai juste les droits de l’homme chevillés au ventre.

J’en suis à un point tel que je ne sais pas pour qui je vais voter, dans quelques semaines, quand il faudra toute seule choisir ceux qui m’inspirent suffisamment confiance et respect que pour que je leur confie ma voix, que je leur donne pour mission de défendre mes valeurs, de parler comme je le ferais moi au sein des assemblées de leurs pairs désignés.

Je ne dis pas qu’aucun n’est digne de cela. Au contraire, il y a des représentants élus que je trouve admirables de dévouement, de force de travail, de volonté, d’intelligence bien utilisés. Mais là, sous le choc des résultats du pays à côté, qui n’est pas si différent, si ce n’est l’absence de candidat extrême ET charismatique (et heureusement pour ma chère liberté), perdue dans des débats, des méthodes, des projets qui me semblent à mille lieues de mes préoccupations, au mieux, et furieusement inhumains souvent,  je suis ce soir incapable de croire que la politique comme elle se fait actuellement ait une quelconque solution aux difficultés que nous vivons.

Et pourtant, j’essaie, je m’intéresse, je lis, je questionne, j’écoute, je regarde, je fantasme (non, c’est pas vrai, c’est juste une respiration, un sursaut, une dédramatisation légère d’une situation grave).

Cette épouvantable désillusion, cette perte de foi totale malgré des efforts constants, me plongent dans l’angoisse.

Pourquoi je n’y vais pas moi-même, au créneau, dans l’arène, au combat ?
Je ne suis pas sûre que dans le système tel qu’il fonctionne actuellement, nous ayons la possibilité d’enrayer la machine, de changer le ronron habituel des partis principaux, des  qui tournent sots à force de rester entre eux, dominés par d’autres enjeux, pour essayer autrement.
Et même, je ne sais pas si autrement, ça irait mieux.
Et même, cet autrement, je n’ai absolument aucune idée de ce qu’il devrait être. Je ne peux dire que pour moi, et encore.

Et puis ça fout la trouille, tout de même. Lâcherais-je mon job, ma vie comme je la connais pour me lancer dans un chemin de négociations obligatoires, cette nécessaire imprécision du système représentatif, qui à force d’obliger tout le monde à se mettre d’accord, n’arrive plus à rien mener sans casse ni renoncement ? Non. Lâche ? Oui, deux fois.

Car c’est une sacrée responsabilité. Faire du mieux qu’on peut, respecter les engagements pris, avec ces inévitables compromis mais sans compromission, il faut une grande force morale et un dévouement sans faille pour ne pas décevoir. Je n’aime pas décevoir.

Je sais juste que je vis ici, sur un bout de terre, avec d’autres gens. Que pour vivre ensemble le mieux possible, nous avons besoin d’un minimum de codes et de règles communs. Que la bonne volonté ne suffit pas. Et que, parmi les personnes qui se portent volontaires pour trouver ensemble les solutions, les moyens, les méthodes, je n’ai pas encore trouvé celle qui partage ma vision du monde, et défendra la construction d’une société où j’aurai l’impression que chacun a sa place, quelque soit la chaise qu’il choisit d’occuper.

J’ai la trouille dans ce monde, tu sais.

Les mots tombés du lit : politique, responsabilité, morale, bonheur, civisme

4 commentaires sur “4”

  1. VOUS nous rechauffez l’âme. Ne serait-ce qu’en exprimant ce qu’il me semble traverser nombre de personnes qui n’ont pas forcement votre force pour les mots. Merci pour ce texte réconfortant malgré tout.
    Pierre

  2. Merci Nora,
    D’abord d’exister, mais aussi de l’écrire de mettre des mots là où, pour d’autres dont je fait partie, les idées sont mélangées avec peu de nuances malgré des convictions qui paraissent fortes…Merci et bien le bonjour au plaisir de vous lire.
    Ouftigars.

  3. Bonjour Nora,
    Ton texte fais écho en moi, et défini bien la complexité d’une époque qui se perd. Moi je suis de gauche viscéralement , par conviction notamment aux valeurs de solidarité et d’égalité. Je ne quitterais pas ce camp. Jamais ! Mais j’avoue que, souvent, je suis perdu, vacillant sous tel ou tel argument. Je n’ai pas ton talent pour exprimer mon désarroi, ma “trouille”, mais merci pour ce texte.

Les commentaires sont fermés