F(r)iction S02-E05

J’ai été parmi les premières engagées, juste après la troisième vague, en 2021, quand la Belgique a sauvé le monde. Je suis inspectrice pré-villégiature à la douane sexuelle de l’aéroport national. Franchement,  j’adore mon job. Chaque aéroport est doté d’une équipe comme la nôtre : c’est comme cela qu’on fait maintenant pour garantir la sécurité des voyages. 

Ce n’était plus possible, ces frontières infranchissables, il fallait une solution. Elle est venue d’ici, de Bruxelles, capitale d’un petit pays guidé par le surréalisme. Le Parlement avait testé et validé une méthode de jugulation du virus très simple : puisque le sexe est bon pour l’immunité, et qu’en général, les humains apprécient au moins une forme de sexualité, misons tout sur la copulation ! 

Pendant six mois, les autorités ont mené des expériences avec une population volontaire, un échantillon varié de tous genres, toutes pratiques, tous âges. Les meilleurs résultats sur l’immunité ont été obtenus lorsque la relation sexuelle était teintée d’interdit ou de piment. Les couples illégitimes, les amants d’un soir et les relations taboues ont pulvérisé  tous les scores immunitaires, avec 2 mois de protection obtenus par une seule séance sexuelle, peu importe le genre ou l’orientation. Chez les femmes, on a aussi remarqué que l’orgasme en l’absence de pénétration était plus efficace. 

Après six mois de testing généralisé, la Belgique a été la première à rouvrir ses frontières, et à implanter de tels centres dans ses aéroports, pour contrôler les flux humains entrants et sortants. J’étais parmi les volontaires, et je me suis spécialisée dans la jouissance des timides et des introvertis. Rapidement, j’ai développé une procédure de jouissance unisexe, qui a été validée par ma hiérarchie, comme pour chaque méthode du centre de testing. 

Le tourisme belge a explosé, soi-disant parce que le monde entier se prenait d’intérêt pour nos brasseries exceptionnelles et notre divin chocolat… Hélas, le reste du monde est toujours un peu lâche en matière de sexe. Peu affichent ouvertement leur goût du plaisir, leur curiosité ou leur désir. Pourtant, en Belgique, aujourd’hui il est tout à fait bien vu d’envoyer un message aux personnes qui nous plaisent, et de partager un moment d’intimité sans autre engagement que de faire du bien à notre immunité. Même moi, après mes longues journées de travail à l’aéroport, il m’arrive d’envoyer une invitasexe à l’un ou l’autre : j’aime l’intime, j’aime le plaisir partagé, j’aime le sexe enjoué. Nul besoin du prétexte de l’immunité pour s’abandonner. Les invitasexes, par leur forme simple, et la facilité des réponses (oui ou non, pas de complication), ont fait beaucoup de bien au pays et à ses habitants. La prospérité touristique a relancé l’économie, et apaisé les querelles communautaires ( la langue du sexe a quelque chose d’universel, quoi qu’en disent les bavards), et sauvé la Belgique, tout simplement. Notre sens de l’innovation, notre audace, notre créativité ont encore fait des prouesses, et aujourd’hui, dans les cénacles, à l’Europe comme au sein de l’OMS,  la Belgique est citée en exemple. 

A l’aéroport, on ne manque pas de travail. Nous sommes une toute petite équipe, très motivée : un homme hétéro, la petite cinquantaine, un peu rustre, qui s’occupe des gens pressés, en évitant tout contact direct. A lui les séances de masturbation de groupe, la distribution de sex-toy, le minutage du plaisir. Il en tire des statistiques étonnantes, qu’il partage volontiers avec nous. Ça m’aide, parfois, pour choisir mes amants. Selon lui, la cinquantaine est la période bénie, entre curiosité et extase décomplexée. Parfois, à l’entendre, j’ai hâte de vieillir… 

L’autre mâle de l’équipe est un amant protéiforme, une sorte d’homme à tout faire, qui excelle aux testings hétéros et sexophilies particulières : pieds, mains, fourrure, à l’aveugle… Sa curiosité est insatiable, et lui permet de tout honorer. Il a un taux de réussite particulièrement impressionnant. Atteint du priapisme post-covid, il est inépuisable, sans jamais être satisfait. Pour le job, c’est plutôt un avantage : pas de risque d’être pris en flagrant délit de faiblesse par le surveillant-chef. 

Nous avons droit de donner plaisir, mais ne pouvons jouir plus de trois fois par jour… Moi, ça m’arrive tout le temps. Pas de chance, nos uniformes bleu marine, comme ceux de la police, sont thermoréactifs : ils changent de couleur avec nos émotions. La règle veut qu’on s’arrête de travailler 20 minutes quand l’uniforme est rose vif, signe d’une trop grande excitation. Le surveillant m’a à l’œil. A mes débuts, il m’a clairement dit que ma sensibilité serait un problème, mais qu’il m’apprendrait à la dompter.  Chaque fois qu’il me surprend à prendre du plaisir, il exige un entretien particulier, où il laisse s’exprimer toutes ses fantaisies de dominant. Avec mon uniforme thermoréactif qui vire au rose à la moindre émotion, autant dire que les pauses sont rares et les punitions fréquentes. Ce n’est pas pour me déplaire. 

Enfin, j’ai aussi une collègue fabuleuse. Elle est frêle et mince comme je suis pulpeuse, blonde comme je suis brune, et a une maîtrise du vocabulaire grivois que je ne m’autorise même pas en rêve. Ses “Bouffe-moi la chatte, mon salaud” et ses “Mets-la moi bien profond” fonctionnent assez bien sur les gamins élevés au porn. Elle gère donc les moins de quarante ans, avec un talent admirable. Un jour, je le sais, elle pourrait tout plaquer et se casser en Nouvelle-Zélande avec un touriste. En attendant celui qui sera troublé par son regard d’ange et capable de maîtriser ses reins farouches, elle rentre seule chaque soir, en banlieue anonyme.  

A nous quatre, plus le surveillant-chef, nous gérons une centaine de voyageurs par jour, essentiellement ceux qui n’ont pas de certificat d’immunité.  Ce matin, les hommes assurent le testing collectif. En salle une, le Barbu s’occupe des voyageurs qui ont choisi l’option “test collectif rapide sans contact”. Un film porn, des sièges en plastique, des mouchoirs et des sextoy bio sans allergène et à usage unique sont à disposition des plus pressés. Ce n’est pas ce qui garantit la meilleure immunité, mais pour les voyageurs européens, vers l’Italie, l’Irlande ou la Bretagne, cela suffit amplement. 

En salle deux, l’amant protéiforme gère deux paraphilies complémentaires : d’un côté, un bûcheron aux yeux superbes en partance pour le Japon , et de l’autre une jeune femme qui décolle dans trois heures pour les Maldives. Ils sont magnifiques, de ces beautés solaires qu’on cache derrière l’ordinaire, de ces amants qu’on n’oublie jamais. Je parierais sans grand risque que l’un des deux va changer sa destination de voyage dans l’heure qui vient. 

En salle trois, la belle blonde semble troublée. Son uniforme n’est pas aussi bleu que d’habitude, et on distingue même un léger sourire sur son visage. Elle est debout à côté d’une table de massage. Son candidat voyageur est en chien de fusil, sa main agrippant  le drap de coton dans un spasme de plaisir ou de douleur, je ne sais. Selon les infos qu’elle a encodées dans le système de contrôle, elle teste un touriste en partance pour New York. Les Etats-Unis imposent toujours des critères d’autorisation particuliers sur leur territoire. Les hommes doivent notamment être systématiquement soumis au massage prostatique. Je comprends mieux. Cet homme retient mon attention, pour une raison qui m’échappe encore. Comme il me reste quelques minutes avant ma prochaine séance, je m’installe confortablement dans la salle de contrôle, et active le son. 

C’est un peu notre bonus, notre plaisir polisson à tous : pouvoir, de temps en temps, nous réjouir d’une séance particulière, mi-voyeur, mi-protecteur. J’aime beaucoup les séances prostatiques de ma collègue : les hommes à l’abandon m’émeuvent particulièrement. Je zoome un peu : je sais déjà ce qu’elle fait, et c’est lui qui m’intéresse. Il a le souffle court, son bassin mobile exprime joliment le désir qui le tient. La blonde a un doigté magnifique, c’est certain. Gantée, délicate, elle branle légèrement son client, point trop n’en faut pour accompagner les plaisirs parallèles. Son pouce trace des cercles doux, de plus en plus pressants, entre les fesses impudiquement exposées du quadra baroudeur. Il réagit immédiatement. Un petit sursaut, une crispation. Certes, il a choisi la méthode, mais a peu d’expérience. Lorsque le premier doigt glisse au bord du gouffre, sa cambrure confirme son envie. La blonde, dont le costume vire tout doucement de couleur, ajoute la langue au doigt, et les gémissements du candidat me rassurent immédiatement : il ira bien vadrouiller à Tribeca. 

Il est temps pour moi de reprendre mes fonctions en salle quatre. Aujourd’hui, je suis affectée aux examens individuels. Ce spectacle volé m’a mise dans d’excellentes dispositions, et il est plus que temps pour moi de passer à l’action. Je réajuste mon uniforme, attache mes cheveux, me savonne les mains, vérifie l’équipement de ma salle de travail. Tout a été désinfecté il y a moins de dix minutes, c’est bon. 

La jeune femme qui entre dans mon bureau a le regard vorace et le sein lourd. Elle pose son passeport sur mon bureau, et détache un par un les boutons de sa chemise de coton bleu. Ses yeux me détaillent sans pudeur. Elle hoche la tête, accroche la barre de suspension, écarte grand les cuisses, et me dit : “Je veux aller en Islande”.  En un éclat, mes reins se réveillent. L’interrogatoire s’annonce délicat. Surtout, ne pas l’influencer. 

– Nature ou technologique ?

– Nature, s’il vous plaît. 

– Sein ou sexe ? 

– Les deux, s’il vous plaît.

– Bouche et doigts ? 

Je sais que je n’aurais pas dû. C’est “Bouche ou doigts ?” la question à poser. Je jette un oeil rapide au moniteur de contrôle. Pas de réaction. Pourvu que le surveillant-chef ait coupé le son. 

Euh… oui les deux, merci. 

En plus elle accepte. Cette journée est soudain plus douce. 

Allergie ? 

– Non, aucune.

– Préférez-vous un inspecteur masculin ? 

– Non. Vous êtes très bien. 

Cache ta joie. CACHE TA JOIE. 

Bien. Enlevez votre culotte s’il vous plaît. Détendez vos épaules. Vous pouvez fermer les yeux si vous préférez.  

Elle me regarde fixement.  Ou plutôt : elle me dévore des yeux. Mon uniforme thermoréactif vire doucement au violet. Je fais quelques exercices de respiration, discrètement, histoire de calmer les sensations. Sexe, reste calme. Clitoris, arrête tes palpitations de désir. Reins, ne soyez pas si insolents. 

J’enfile les gants réglementaires. Ceux-ci ont une texture extra-soyeuse, et sont légèrement lubrifiés. Ça aide, parfois, quand la touriste choisit l’orgasme express. Mais le vol de mon aspirante à l’Islande décolle dans quatre heures, je prendrai donc tout mon temps. 

Elle est un peu plus grande que moi. C’est pratique. Nous pourrons rester  à la verticale, aussi longtemps qu’elle le souhaite. 

Comme le prévoit la procédure, je fais le tour de son corps. Pas de signes extérieurs de virus, ni sueur, ni fièvre. Elle réussit le test d’odeur immédiatement, la cannelle lui plaît. Le tableau qu’elle m’offre, la chemise déboutonnée, les seins libres, les cuisses entrouvertes, est magnifiquement appétissant. Six mois de travail dans les douanes, et j’en ai vu passer, des voyageurs. Des amoureux transis qui voulaient partir vivre en autarcie au bord de la mer, des aventuriers des temps modernes, prêts à tout plaquer par amour ou par lassitude du monde… Tous étaient motivés pour les tests physiques, même si leur corps ne suivait pas toujours.  Certains ont pris un plaisir bruyant, d’autres à peine un souffle. Oh oui, il y en aurait des histoires à raconter sur le poste de douane et testing de l’aéroport national… Mais très heureusement, que ce soit des souvenirs chéris ou d’abominables humiliations, chacun préfère garder pour soi ces instants troublants, où le plaisir, par obligation ou par surprise, prend des formes inhabituelles. 

L’Islandaise me regarde toujours. Je m’approche. 

J’ai ma check list bien en tête : caresser le sein d’une main, guetter la réaction. Si les lèvres s’entrouvrent, lécher délicatement le mamelon, puis appliquer un mouvement de succion. Si elle penche légèrement la tête, poser la deuxième main à plat sur son pubis, sans bouger, et poursuivre les baisers. Lorsque le bassin bascule, lui demander si elle veut que j’embrasse aussi son sexe. Après consentement, glisser légèrement un doigt entre les lèvres, et dégager le clitoris. Poser la bouche à plat, en écartant très légèrement les lèvres pour dénuder la chair. Tendre la langue, et effleurer le gland, en apprécier la texture. S’il est gonflé et palpitant, associer les doigts, en de délicates caresses et manipulation. Appuyer légèrement sur le pubis. Ne pas pénétrer le vagin, même si le sujet le demande. 

D’une main, elle accroche mes cheveux, guide ma tête vers son sexe. Ses râles graves me bouleversent, mon sexe s’échauffe. Mon uniforme passe au rose. Je pense au surveillant chef, à ce qui m’attend si je me laisse jouir. La touriste danse, les reins indécents,  se liquéfie dans ma bouche. Elle agrippe ma main, la pousse vers son sexe. J’hésite. Elle me plaît. Elle me trouble. Tant pis pour les principes. J’enfonce deux doigts gantés dans son sexe noyé, et appuye légèrement sur la rosace de ses fesses, tandis que son clitoris palpite dans ma bouche. Je sens sa chair convulser avec force, à l’instant même où elle s’effondre sur le sol. 

La main toujours dans son sexe, j’attends que les muscles se relâchent pour me retirer. Elle me regarde, et éclate de rire. Derrière elle, sur le moniteur de contrôle, le surveillant en chef me jette un regard courroucé. Le haut-parleur rugit :  “La Gaspard, dans mon bureau, dans dix minutes”. Je sursaute un peu, et me réjouis en même temps : cette fois, je vais prendre cher. 

Dans le logiciel de contrôle, j’indique l’âge et la destination de ma voyageuse, sa température, ses signes distinctifs. Sa peau laiteuse. Ses seins qui ne tiennent pas dans ma main. Le goût de son sexe, maracuja, la pulsion qui le traverse lorsque le plaisir la prend. Je tamponne son passeport, et lui remets son autorisation de quitter le territoire. Elle me regarde en se mordillant la lèvre et me chuchote : “Vous savez, j’aime beaucoup, beaucoup voyager.  

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