Nus

Je te parle un peu de sexe, lecteur, lectrice. Et je t’en parle ici, hors fiction, hors désir, hors envie. Même si ça suinte de tous mes mots, l’émerveille, ce n’est pas ce qui compte maintenant.
J’ai visité cette expo. Oui, celle-là qui parle de l’homme nu dans l’art, et qui raconte bien des histoires.

Il y a tous ces corps, ici, là, au détour d’une allée, dans un recoin. Des corps lisses, athlétiques, imposants, divins, aux proportions parfaites. Parfaites ? Pas tout à fait.
On y voit de ces hommes nus, aux arrondis magnifiques, aux fesses charnues, musclées, appétissantes, aux peaux moirées de marbre, aux mains à cueillir un cul dans une paume…  et, hélas, ce grand absent.

Le sexe des hommes.

Souvent cassé. Pas juste ébréché, entendons-nous. Ni fracturé. Mais bel et bien sectionné, laissant une pierre granuleuse là où mes yeux cherchaient une hampe lisse, droite, vigoureuse. Je ne vous ferai pas un cours d’histoire, je n’en ai ni les compétences, ni le goût. Mais le 17e a tout de même eu le mauvais goût de masquer ces sexes que je voudrais voir. Mon goût de la langue m’amène à trouver presque drôle qu’avant la feuille de vigne, il était d’usage de masquer verges et autres vits de feuille de figuier…

C’è una figa dietro la foglia di fico ? 
Et les peintres ne font guère mieux… Que dire des voiles subtilement drapés, des rubans qui s’entortillent, et autres   artifices qui dérobent au regard les attributs du mâle ?  Angles de vues subtils, pudiques buissons, fourreau sans épée… Foutredieu, ils sont rusés, les diables ! Parce que, bien sûr, de représentation par la femme, il n’est point question. Heureusement que la Louise, la Bourgeois, tard tard dans le 20e nous offre une sculpture provoc’ où l’hystérique est… un homme – la bougresse ne manque pas d’humour.  Car il faut attendre, la fin du 19e, et puis le 20e, pour voir nos hommes aux sexes de gamin prendre un peu d’ampleur, et assumer un membre digne, à peine, du majeur de ma main droite. Et le corps perdre un peu de sa superbe, être un Balzac bedonnant, travaillé sous la toge, et enfin, toucher au charme car imparfait, devenir humain. 
C’est étonnant, cette accession à la fragilité du corps, au moment où tout un pan de l’iconographie contemporaine lisse et épile les corps des femmes, les allongent à coup de pinceaux numériques, gomme leurs attributs de femme, de mère, les traces du temps, les ventres arrondis, les seins allaitant, pour tendre à l’irréel. 
Et puis, tout de même, j’ai eu un sourire, et deux coups de coeur.  Le sourire, c’était cet humour, enfin, ce décalage magnifique des oeuvres de Pierre et Gilles, même si les hommes y sont aussi très lisses, couleurs, sensualité, enfin, au milieu des pudiques scènes de chasses. J’ai adoré cette fraîcheur. Et le sexe du monsieur de gauche, oh ça oui. 
Et puis, premier coup de coeur, mais est-ce une surprise ? Là où les femmes dessinées par Egon Schiele me fascinent depuis toujours, l’émotion rude écorchée de ses auto-portraits m’amène presque à l’amour… Terrible peau de vie, et regard blessé. 
Et seconde pâmoison, une esquisse, un trait pur, reconnaissable entre mille, et pourtant il m’est impossible de le retrouver sur la toile, quelques traits bleus, de Matisse ou Picasso, la mémoire m’échappe, sans détail, sans fioriture, d’un homme allongé, tenant son sexe. Quasi le seul tableau où la sensualité du corps se fait ligne claire, évidence, épure et donc universelle. Si tu me retrouves ce tableau, lecteur, lectrice, je t’aimerai à vie.



* Cherche si tu veux voir
Louise Bourgeois, Hysteria : c’est
Rodin, Honoré de Balzac : c’est
Pierre et Gilles, Bleu Blanc Beur : c’est
Egon Schiele, Autoportrait : c’est là 


Les mots tombés du lit sont : sexe, nu, beau, expo, Orsay

3 commentaires sur “3”

  1. Oh, j’avais écrit toute une réponse, et mes doigts maladroits l’ont effacée.
    Bref, oui, elle questionne, cette expo. Et je n’espère pas faire le tour des interrogations soulevées en un modeste billet, encore moins y répondre ! J’essaie de regarder et de nommer, et tente de garder la porte ouverte aux ébauches de sens. Mon âme de philosophe cherche encore… Mais si vous en avez l’occasion, allez-y, remplissez-vous les yeux de ces merveilles… Même imparfait, surtout imparfait, l’homme nu est beau.

  2. Eh bien, Nora, la réponse est claire; ce texte m’a donné envie de visiter cette expo malgré qu’il ne lève pas le doute sur une de mes interrogations: y a-t-il une vraie représentation du nu masculin digne de ce nom dans l’histoire de l’art? En d’autres termes, n’a-t-on pas cherché quelques éléments périphériques pour les rassembler? Et, puisqu’on en est aux questions, n’est-ce pas une manifestation de cet égalitarisme obligé que j’admets malgré son caractère contraignant? Tiens, au fait, ici, n’aurait-il pas mieux valu, sur le thème du nu, comparer la représentation du nu masculin et du nu féminin dans l’art, pour montrer que justement, cette égalité que nous proclamons reste à venir et débarque à peine?

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