Tare

Chaque matin le miroir m’engueule.

Il y a ce regard myope, ces joues invariablement rondes, aux pommettes presque slaves, l’angle particulier du menton, cette implantation des cheveux, et l’oeil, implacable.

Ce n’est pas que je sois laide ou belle. La vie me va bien. Longtemps, j’ai vu mes 20 ans en souvenir, les petites étincelles, le début de rides à trop sourire. Et le temps a passé.

Un jour, dans le miroir, il y a eu la Mère. 
Enfin, ce n’est pas vraiment elle, c’est elle à travers moi, c’est bleu plutôt que brun, mais elle est là. Dans le cou, dans la pommette, dans le creux de la paupière.

Ce n’est pas un drame, non. Dans mon visage elle rôde, et cela m’agace. Mes souvenirs de son corps vivant s’arrêtent à ses 45 ans à peu près. Elle est devenue carte postale. J’ai choisi de vivre l’absence comme un soulagement. Elle est partie il y a une vingtaine d’année. Et sournoise, la voilà qui réapparaît dans mon miroir, là où je voudrais aimer. Je refuse l’amour obligatoire.

Mais voilà.

Chaque matin, elle est là. 

Je porte, et elle avant moi, et elles avant elle, la culpabilité au tréfonds des entrailles comme d’autres la religion. Culpabilité des âmes voyageuses de l’imperfection du monde. Culpabilité de la chair, les voraces femelles.

Le miroir chaque jour est une violence.

(Petite musique douce, un fantôme me chante Calvin Russel. J’ai 17 ans, il me dit qu’il m’aime, je le crois, je n’ai pas  vu le miroir. Plus tard, je ne crois plus personne. Tu voudrais que je sourie en me regardant ?) 

Le combat permanent de la raison et du corps. 
Je peux savourer la chair, les dessins de vie, les cicatrices, et les histoires qu’elle raconte. J’ai d’elle les seins lourds, et les reins indécemment cambrés. Mais ce visage qui me regarde, même avec tout le respect du monde, même si différent d’autrefois.

Dans le miroir, la condamnation, la folie qui guette, le reproche, le vide de l’absence, une phrase. « Tu ne m’as pas assez aimée ».

Après, les questions.  Longtemps.  

Les mots tombés du lit : Mère, coupable, Narcisse, “Etre une heure, une heure seulement, être une heure, une heure, quelquefois, être une heure, rien qu’une heure durant beau, beau, beau. Beau et con à la fois !”

2 commentaires sur “2”

  1. Bonsoir Nora.
    Découverte pas à pas de votre univers textuel….et ma fois quelle habile beauté de la narration. Et ce texte là qui vient s’aventurer dans le délicat voire épineux complexe de l’amour maternel !!!! Bravo pour l’exercice et ce texte qui coule tel les eaux du Styx où Narcisse aimait à se contempler….
    Mais s’agit il bien d’une “Tare” qui finit par nous rendre un peu tous “Tarés” ???
    En avez vous peut être une bribe d’explication???
    A suivre….

    1. Oh, je n’ai que mon expérience, et quelques pensées. Mais il y a là, je le sais, bien des choses qui se nouent et se dénouent…
      Bienvenue dans ces pages.

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