La chambre noire

Il y a peu d’hommes qui ont la carrure de l’ours et le coeur si fragile. 

La Lumière, comme il signait ses commentaires ici, était un de ceux-là. Un grand gars, un viking, qui parlait fort, qui riait fort, qui aimait le café, le sexe et la chère, qui avait des idées aussi grandes que ses révoltes… Un homme de théâtre – c’est là que nos routes se sont croisées, autour de mes 16 ans. Un homme de photo, qui m’a plusieurs fois figée sur la pellicule avec un talent sans égal. Un homme de savoirs, qui avait repris les cours à passé quarante ans, pour changer le monde en enseignant. La Lumière… Il était écorché si fort qu’il en devenait translucide parfois, les yeux rougis par la vie. Bordel, c’est violent. 

 

Il y a peu de femmes qui dégageaient autant de force et de joie de vivre qu’elle. 

Une femme du sud, de Bastogne, comme mon aïeule Gaspard. Une femme qui te retourne le coeur de tant d’humanité, qui t’emmène vers tes territoires inconnus avec autant d’aisance que si tu allais acheter du lait. Il y a 20 ans, nous avons fréquenté la même scène. La première pièce que j’ai écrite, elle l’a jouée avec moi, et d’autres. En Belgique, en France, en Allemagne, en Bulgarie… On a goûté à la Pologne aussi, autour d’un Kundera déjanté. C’était nos 20 ans, les amitiés intrépides, les petites folies, les premières amours féminines, le premier accident de voiture aussi, dont on sort avec la trouille à vie. Puis on vieillit, on se marie, on fait des enfants, on se revoit pour un festival doux ou pour noyer les ruptures dans l’alcool et le chocolat. Puis chacune son tour fait face à la maladie. J’ai survécu, toi pas. 

 

Catherine et Jean-François sont partis. Pas en même temps, pas pour les mêmes raisons. Ils ne sont pas morts de vieillesse dans leurs lits, la vie est bien trop pute pour cela.  Depuis, le ciel pleure, et moi aussi.

Je vous ai tant aimés.

 

 

En écoutant Satie et Albinoni