Brasier

Je m’interroge parfois sur la naissance du désir, l’étincelle qui amorce le brasier. Non pas d’un point de vue psychanalytique ou sociologique – il n’est point besoin de théoriser tout ce qui nous anime – mais de ce qui déclenche les incendies de chair, les passions sulfureuses, les déraisons absolues. 

Est-ce un grain de peau, parfois un parfum deviné au détour d’une accolade ? Une courbe indécente, un cadrage taquin à la frontière des hanches ? Est-ce un mot équivoque, un genou effleuré, un sourire, une voix merveilleusement grave ? 

Sans doute est-ce tout cela, ensemble ou séparément. Cet éclat dans le regard surpris au creux des seins, cette main chaude et sèche, ces lèvres qui s’attardent sur la joue, cette cuisse qui ne recule pas d’un centimètre au frôlement impromptu, ces yeux qui accrochent les miens avec une franchise rare, sont l’électrique de ma peau. 

Il est des hommes qui lèvent en un instant toute hésitation. Parfois, tu ne mets pas plus de trois mots à comprendre que la décharge que tu viens de ressentir au creux des reins annonce une jouissance puissante, entre les tréfonds de ton cerveau et la force de ses doigts. 

Adieu minauderies socialement codées, adieu. Car il y a ce regard sombre, et déjà je sais que cette main empoignera ma chair, tandis que son sexe large trouvera sa route entre mes cuisses. 

Comme je sais que ses joues érafleront la peau la plus fragile, la douce voracité de ses lèvres sur le gland tuméfié de mon clitoris, en cuisant contraste avec son menton rugueux, chair à vif, et pendant des jours ces souvenirs émus à chaque fois que je croiserai les cuisses.

Je n’essaie même pas d’esquiver.

Cela ne sert

Strictement

À rien

Sans aucune réserve, j’offrirai tout ce que j’ai à donner, pour un jour, un mois, un an, peu importe. J’oublierai la pudeur, la timidité de bon ton et les valses hésitations. Je ne garderai que le voile et le cuir, ceints en d’étranges dentelles autour de mes hanches, ultime rempart d’une nudité farouche. Je sais déjà le corps basculé sur le dossier du vieux fauteuil de cuir, et mon poing dans ma bouche pour me préserver quelque humanité quand sa langue fourragera entre mes fesses, tantôt aventurière, tantôt prélude à doigt volontaire. La douceur de ma soie autour de ses doigts vagabonds raidira son sexe mieux que mille jurons. Je sais le choc, la rencontre des mots, et l’éblouissement, le cerveau qui vrille et l’oubli du temps. Je sais les corps en rut, les soupirs, les râles et les gémissements.

Dans mes cheveux, sa main qui se crispe au rythme de ses hanches, étire ma nuque, creuse mes reins. Il y a du vieux blues dans ce va-et-vient, la dé-raison, et le plaisir, doux et brut à la fois. Les sexes qui se cherchent comme évidence, du duvet au velours, du marbre à la soie, percute, percute, et prolonge la joie. Enfonce doucement ce sexe large, centimètre par centimètre, remplis-mon creux de ton plein, ta main de mon sein, et murmure ton extase dans toutes les langues du monde. Le désir qui s’explore sans filtre, quand il n’y a plus rien à garder pour soi, ni pour demain. Ma gorge sèche, mon souffle court, quand sa bouche caresse le creux de mon cou, vorace appétit. Quand mes seins s’écrasent sur le mur tout proche, d’une cambrure indécente j’expose à ses yeux le carmin de mon sexe, gorgé de nos humeurs salées, brillant de l’eau des corps assoiffés. Quand agenouillé entre mes cuisses, il lappe comme lait le suc, le fruit, l’urgence aussi. Le plaisir me déborde, en d’intenses convulsions, je jure, je ris, je jouis. Je le regarde. Je souris. 

Quand les corps dégoulinant de foutre et de sueur, les reins fatigués, dans le silence doux qui suit les feulements, la pulsion satisfaite mais point l’appétit, avec délicatesse, une mèche de mes cheveux entre ses doigts, il souffle doucement sur mon sein, guettant la tension à la pointe du téton, y passe la langue, l’œil tendre mais point rassasié, et s’en va explorer chaque dessin sur ma peau, le détail d’une fleur, la ligne claire d’une cicatrice, le grain de beauté à l’intime du sexe… Dans la lumière de l’entre-nuit, celle qui sublime les contrastes et nourrit l’audace des introvertis, je passerai un doigt léger sur cette clavicule, fantaisie émotive, suivrai la route de ses hanches, carrefour, enroulerai ma langue sur la couronne sensible, et, dans un baiser d’une lenteur extrême, ranimerai le vit moite, la hanche, la cuisse, le genou jusqu’au pied.. Car ce n’est que le début, à ses yeux volés.

Oui, en trois mots, je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment, mais je sais.