Absolu

J’ai goûté l’absolue liberté. Comme une ivresse ou un abandon. Comme un rendez-vous avec moi autant qu’avec toi. Sans engagement. Sans peur. Sans pudeur. Sans réserve et sans interdit. 

Huit jours. J’ai attendu huit jours pour effleurer mon sexe, tuméfié par le plaisir. La chair avait cette texture particulière d’après l’amour, cette moiteur résiduelle qui garde chaud longtemps après le bain du matin. Mes mains étaient marquées de bleus. Mes hanches parsemées des éclats d’une trop grande extase. 

La jouissance est une absence. Un repli au-dedans de soi, une connexion perdue avec le temps et l’espace, un fragment de relativité. A ce point d’abandon, elle est fusion. La douleur n’existe plus, le froid et la fatigue non plus. L’énergie parfaite. 

Peut-être crois-tu que l’amour c’est être là pour l’autre, au quotidien, et construire à deux une belle histoire, la plus longue possible. 

Je n’ai aucune intention de te faire changer d’avis. 

Mais ce n’est pas la seule façon d’aimer. J’ai choisi autrement, pas mieux, pas pire. Différent. 

Dans la nuit noire, il souriait. J’attendais au feu rouge. J’aurais pu traverser, mais tu vois, je suis cette personne qui souvent, respecte les règles sociales. On ne traverse pas au feu rouge. On jette son papier à la poubelle. On ne baise pas sans capote. Une fois ces fondamentaux posés, nous sommes libres de tout le reste. 

J’ai marché, mon immense manteau couvrant mes mains gelées, le satin glacé sur la pointe des seins. Je suis allée à la rencontre de cet homme, parfaitement consciente déjà que quelques heures plus tard, sa bouche entre mes cuisses me ferait me tordre de plaisir. Je souriais. C’était comme un rendez-vous, sans l’angoisse de la séduction ou de la performance. Après autant d’années d’affinités littéraires, de confidences sans fard, de fragilités assumées, les peaux sont intimes avant même de se toucher. 

J’ai parlé peu. J’ai souri. J’ai chantonné. J’ai laissé le temps filer, solitaire dans la foule, reliée par cette sensation particulière de n’être personne, et donc d’être parfaitement moi, depuis les rues de la ville inconnue jusqu’aux murs de la chambre d’hôtel. 

Mes jambes ont tremblé, longtemps. Après que sa langue ait caressé au plus loin le velours de mon sexe. Après que ses doigts aient rempli, exploré, percuté, trifouillé le ventre. Après que mon souffle s’épuise, que ma bouche s’assèche, que mes reins se tordent, que ma chair s’enroule autour de ce majeur audacieux, après que la soie se gonfle de sang, palpitant contre sa paume de piano à allegro, après que mes yeux se ferment plein d’étoiles, après que j’ai murmuré, soufflé, gémi, râlé puis souri, retenant un cri presque animal. Et mes jambes tremblaient encore quand je lui ai dit merci. Il faut toujours dire merci, c’est la règle, quand on reçoit un cadeau. Cet homme, sa langue, son sexe, ses mots, ses mains, son foutre dans ma bouche, sont autant de cadeaux. Merci. 

Nous sommes des êtres de mots, des personnages qui n’existent pas. Nous n’avons nulle contrainte sociale. C’est peut-être là ce qui nous offre cette liberté fondamentale, presque animale, au-delà de la confiance, de l’admiration réciproque, de la longue amitié, de l’affection que nulle réalité n’altère.