Use me – 01

La devanture bleue, le calme de l’intérieur, la vendeuse accueillante, j’étais entrée en souriant.

J’ai commandé un café. Je commande toujours un café. Je l’aime sombre, avec sa délicate couronne mousseuse d’un beige léger, qui parfois traîne sur la lèvre et appelle baiser. 

Parce que vous partagez l’envie, la tasse s’accompagne de délices ensoleillés. J’ai plongé le doigt dans la crème. Ce léger goût d’oeuf, la vanille délicate, le croustillant de la pâte, réveillent en un instant mon inclinaison naturelle au péché de chair. Passer de doigt à bouche, et je frissonne des cheveux aux reins.

Mon vis-à-vis verra-t-il mes joues couleur chapeau, cette rougeur fugace qui m’envahit quand l’envie de sexe me surprend en mangeant ? Il me regarde, pour sûr, il sait. Mangez donc face à moi, mais n’espérez point la sérénité. Vous aurez le goût de la chair et du sang, l’ivresse du vin, l’absolu des papilles qui succombent au délice, et mon regard indécent quand, essuyant délicatement ma bouche, je tente de masquer ma joie. Quand la langue se délie, le plaisir se partage, Darling. Il n’est nul alcool qui ne m’enjaille, nul appétit qui me rebute. Pour quelques heures, je serai la chair à vif, d’un vermillon satiné, bouche affamée et seins doux à vos lèvres sucrées. 

Comme vous, je change et je voyage. Nous savons. Un jour, je serai le corps autour du vôtre, le velours contre la soie, et cette friction de l’entre-deux, comme se sentir chez soi dans un territoire inconnu, et jouer du frisson sur la peau, le souffle doux dans la nuque, le corps goûté à pleine bouche, je serai l’infini de l’eau. Pour l’heure, je vous regarde presque sagement, en savourant mon café. 

J’aime connaître les gens par la peau. Déguster le plaisir, juste parce que la route est belle. Explorer la ville et se perdre d’émerveille. S’arrêter dans un parc public. Effleurer la main, sourire. Goûter. Est-ce salé ou doux ? Coriandre ou tabac ? Sueur ou savon ? J’aime ce goût de sucre aux commissures, ce souvenir de café, tandis que le vent envole ma jupe. J’aime votre main glacée qui se faufile sous mon pull, égrène les vertèbres puis cherche audacieusement la chaleur du sein. Les rues d’automne sont les plus beaux théâtres de nos égarements impromptus. Et dans le recoin d’une porte cochère, voler un baiser, picore et puis dévore, les lèvres aventureuses, clavicule et cou, oui, là, juste sous l’oreille, exhaler un soupir. 

Dans ce labyrinthe vert, à l’ombre du grand arbre, j’ai pris votre sexe entre mes doigts, le souffle léger pour compenser le froid. Sous mes cuisses, le banc public était glacé. Comme les corps nus plongeant dans la rivière ont toujours cette même allure, entre audace et précaution, j’ai glissé un orteil timide dans votre univers, la gourmandise dans les yeux, et une bouche encore brûlante autour de votre gland. 

Je suis un courant d’air. Je suis venue, j’ai joui, je suis partie. Je vous ai prêté mon corps comme je prête ma plume, sans vider la cartouche, gardant pour moi l’extrême liberté de me servir de votre sexe, pour vous regarder exulter sans m’oublier, échange de bons procédés. Nous sommes amants d’un matin, sans nom ni contrainte, sans ces excès dégoulinant de politesse obligatoire, savourant les silences comme l’instant. Alors j’ai goûté de la pointe de la langue cette couronne mousseuse qui appelait baiser.