Le sablier doux


Il y a longtemps, je n’avais peur de rien, je vivais avec la certitude chevillée au corps que le désir ne s’épuiserait jamais, que le sexe droit face à ma bouche serait toujours le même, vaillant, patient, joliment profilé, et que mon corps n’aurait jamais faim.


Le temps m’a traversée, et la vie souvent. J’ai appris à avaler, j’ai appris à manger mes mots, j’ai appris à fantasmer, j’ai appris à ne pas donner mon cœur quand on voulait ma peau.


Le sexe face à ma bouche était toujours le même. Parfois moins vaillant, parfois moins patient, parfois mon corps avait faim.


Et finalement, les saveurs étaient plus belles, d’avoir pris le temps d’apprendre ce corps mûr, d’avoir gouté ses humeurs et ses larmes, d’avoir aimé ses failles. La perfection me fatigue, les femmes-squelettes ne me plaisent qu’au moment où la chair commence à se renourrir, quand l’os à ronger a rassasié bien des appétits avant de révéler sa moëlle. Je veux des ventres mous et des peaux fragiles, je veux des yeux qui pleurent parfois, et des sexes faillibles, j’ai une tendresse folle pour les abandons précoces, et les étincelles inattendues. J’aime quand la peau se trame, quand les poils s’éclaircissent, que les cheveux ont des fils clairs, quand les fesses sont moins fermes, quand les seins s’adoucissent. J’aime goûter aux effets du temps sur ta peau douce, reconnaître ton odeur, voir les rides autour des yeux souriants. Je suis humaine. Je ne veux pas arrêter le temps, je veux en savourer les effets, dans l’attente comme dans l’urgence, dans les heures oranges et dans les nuits à lune.


Le sexe face à ma bouche est encore le même, moins souvent, moins longtemps. Il n’est plus très vaillant, mais je suis très patiente. Mon corps n’a plus faim, car la vie l’a mangé. Il reste mon âme, si vous voulez partager.

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