Post librum, animal triste ?

J’ai souvent partagé mes nuits avec … des livres. Des premiers lus, je retiens les grands mythes, et les convictions. Shakespeare m’a rendue frénétiquement romantique, les anciens ont nourri ma dialectique du bonheur entre plaisir et vertu, Camus et Sartre m’ont plongée dans un abyssal doute politique, Irving m’a regardé grandir, j’ai haï autant qu’aimé Ignatius Reilly, Les chaussures italiennes – lecture recommandée par un twitto à la veille d’un voyage en Islande- a réenchanté la mort, tandis que les cowgirls qui ont le blues m’ont à tout jamais rangée au rayon des femmes qui en ont. Évidemment  Kundera, évidemment Sade, évidemment toi, là-bas.

Voici une biographie littéraire qui me plaît. Qui simplifie mon chaos personnel, certes, mais qui me plaît.

A chaque lecture, je me remplis. Je me laisse traverser, envahir, habiter, par les livres comme je le fais par les hommes. Ou les femmes. Sans réserve, à brûler jusqu’au désir, jusqu’à goûter la dernière goutte de sel.

Parfois je me dis que ma vie serait plus tranquille si j’arrêtais de lire. Mais je suis une intranquille, vois-tu ? Comprendre, goûter, agir, faire bouger les lignes. Peut-être je devrais m’engager en politique ? La question me traverse de plus en plus souvent. Mais j’ai si peu de talent pour le compromis, si peu de respect pour la façon dont le pouvoir change les êtres, que j’aurais bien de la peine à renoncer à ma perception de ce qui est juste pour négocier sur quoi que ce soit. Rares sont les hommes et femmes politiques qui ont mon respect. Vu qu’on a plus de gouvernements que de doigts sur une main, la proportion est proche du zéro. Donc je ne vais probablement pas mettre les doigts dans le pot de confiture. Je préfère encore jouer les Mata Hari.

Après des années de lectures éclectiques, je reprends les chemins de la philo, et me plonge dans les mots de François De Smet. Et le premier de ses ouvrages que je termine est encore un de ces livres qui me secouent de l’intérieur, forçant l’esprit à creuser, douter, interpeller, ouvrant un dialogue intérieur générateur d’un joyeux désordre et, dans le même temps, d’ébauches de débat, qui exigeraient des heures et des heures de discussions pour faire le tour de la question. Est-ce mon Asperger qui mène la danse et m’entraîne si profondément dans un autre univers ? Ou est-ce lié à l’entité “Moi”, qui déciderait librement de jouer avec ces questions pour s’amuser le cerveau , avec orgueil et futilité ? Ces questionnements ne sont-ils liés qu’à mes rapports au monde, réinventés par Je, autrice, par Je personnage, par Je, femme en désir ? Mais je vais trop vite, déjà. Peut-être que je capillotracte, c’est vrai. Ca fait partie du package.

Qui sait, peut-être lors du prochain Love & Sex Festival y aura-t-il d’autres âmes curieuses avec qui poursuivre cette réflexion ?

 

Les propos ci-dessous sont bruts, absolument subjectifs et forcément partiaux. J’ai sans doute oublié des nuances, des précautions oratoires universalistes, toussa…  – ce qui peut-être vous donnera  envie de réagir, préciser, discuter.  Et je m’en réjouis ! J’ai fermé les commentaires sur ce site, mais ma boîte mail et mes DM sont ouverts au débat.

Le livre ?

Lost Ego – La tragédie du “Je suis”,  de François De Smet, paru aux PUF en 2017.

Extraits choisis

Ego est une construction de l’évolution destinée à favoriser la conservation de l’espèce en produisant des êtres humains de mieux en mieux aptes à se gérer vis-à-vis de leur environnement, et ce en favorisant en eux le développement d’une faculté agentive destinée à leur faire croire que leur volonté consciente est la base de leurs actions. Ces actions, pourtant, puisent leur source soit dans des processus inconscients, soit dans des dispositions dont l’individu n’est pas responsable au premier chef : la force ou la faiblesse de caractère, la volonté de plaire, la soif de reconnaissance. “

“Prendre conscience de l’inscription d’Ego dans le fil du temps, c’est intégrer la définition des êtres humains en tant que raconteurs perpétuels d’histoires à destination de nous-mêmes comme du monde extérieur.”

“Il ne s’agit pourtant pas ici d’une perte d’Ego dans le chaos, mais de la simple mise en exergue du flux qui nous constitue. Si la conscience est une création du cerveau destinée à nous positionner comme responsables de nos actions, si le libre arbitre est un récit autoconstruit, il n’y a là nulle raison de désespérer – mais simplement occasions de penser et de créer, comme dirait Spinoza, avec une plus juste perception de nos limites. “

‘L’être humain est constamment tiraillé par un double besoin : d’une part celui de faire reconnaître la singularité qui le distingue de tout un chacun ; et d’autre part le besoin d’être membre d’un groupe avec lequel il partage des traits d’identité, de culture ou de valeurs.”

“Car ce que veut réellement l’individu, au-delà de ses besoins primaires, ce n’est ni être seul, ni se fondre dans le groupe : c’est appartenir à un groupe au sein duquel il peut identifier la plus-value qu’il représente.”

“Pour le dire simplement : la vie n’est pas devenue moins extraordinaire depuis que Darwin et la théorie de l’évolution ont mis au jour sa contingence. De même, se reconnaître et s’assumer comme les auto-affabulateurs que nous sommes en tant qu’humains ne nous dispense pas de nous réjouir d’être de bons conteurs d’histoire, voire de vouloir en devenir de meilleurs encore, et de continuer à vouloir en vivre ensemble.”

Ce que j’en dis

Je ne vous résumerai pas ce que ce brillant penseur contemporain écrit. J’ai choisi les extraits ci-dessus pour poser ce qui m’interpelle, en espérant ne pas réduire sa pensée à quelques lignes faciles. Disons juste que ce n’est pas dans ce livre-ci qu’il parle de sexualité, ni d’Eros . C’est le cas, par contre, des réflexions qui me sont venues en le lisant, et qui questionnent le sexe, ou plutôt le désir et le plaisir, mes sujets les plus chers…

Qu’est-ce que la question sexuelle vient faire dans une lecture philosophique du libre arbitre ? Si la question pulsion/raison est assez évidente, lecteur, lectrice, ces citations placent la perspective mieux que ce que je pourrais le faire. Si tu veux en savoir plus, il y a sans doute une excellente librairie près de chez toi, où tu pourras acheter ce bijou (oui, je sais, ça se voit beaucoup que j’ai aimé cette lecture. C’est comme ça, je ne fais rien à moitié).

Pourquoi se poser autant de questions sur le sujet ? Parce que je pense sincèrement que la vie est bien plus savoureuse quand on a conscience de ce qui se trame dans l’instant, avant et après. Et c’est pareil pour le sexe.

Sur le désir : faut-il sexer pour se connaître “vraiment” ? 

Au-delà des questions sur les liens entre corps et conscience, et qui de la poule ou de l’oeuf, la question de Je me renvoie directement dans les cordes de Tu, l’autre, l’être en face, soumis aux mêmes contingences que moi. L’autre qui peut être, parfois, objet/sujet de mon désir.

Avec le temps, on se connaît un peu mieux, soi, et les pulsions de soi. Il reste pourtant des zones d’ombres, sur ce qui nourrit l’impulsion vers l’autre, l’attraction, le creux soudain  qui terrasse le ventre, et appelle à la complétion, la brûlure du sexe. Est-ce que mon désir est lié à cette part de moi inaboutie, que je retrouve dans l’autre – désirer ce que j’aimerais être ? Car désirer d’emblée, avant même d’avoir tisser un lien, ne peut être que projection ou espérance, n’est-ce pas ?

A l’absolu de l’espoir succède l’obligation de reconnaître que Tu est autre, Tu n’est pas ce que je projette, ce qui peut être réjouissance (rarement) ou déception. Tu n’est pas l’histoire que j’ai imaginée de toi.

Ne sommes-nous que de pieux mensonges les uns envers les autres ?

Le rapport sexuel nous emmène dans un intime rarement social, un instant où se laisser connaître entièrement de l’autre, tomber les armures et les mythes pour laisser corps prendre la parole est aussi se mettre en danger. Est-ce une nécessité ou une envie ?

Est ce que, dès lors, pour appréhender ce Tu dans sa globalité,  y compris l’intime non social,  sexer (j’inclus dans ce verbe baiser et faire l’amour, ce sont les deux facettes du même acte ) est nécessaire à la connaissance de l’autre ? A l’amour ?

Est-ce que l’on peut aimer, désirer et connaître mieux l’humain avec qui on ne sexe pas, que celui avec qui on pratique cunnilingus et massage de prostate ?

Le désir est-il le fruit de la volonté de notre cher Ego,  notre libre arbitre, ou la résultante d’une programmation sociale de nos aspirations, y compris en matière de sexualité ?

Le plaisir est-il lié à la pratique ? La pratique, qui peut réduire à néant le désir, le peut-elle aussi du plaisir ?

L’exaltante rencontre, la fusion de l’esprit inclut-elle le désir ? Et est-elle conciliable avec la non-consommation ? N’est ce pas un leurre de garder le fantasme, pour éviter la déception / les conséquences du réel ? La confrontation au réel,  la révolution dans la caverne,  mérite-t-elle qu’on lui sacrifie nos desirs fantasmés ?

Finalement, le désir n’est-il le plus intéressant et inspirant qu’en dehors de tout passage à l’acte ?

La question de “comment garder vivace le désir au quotidien après 23 ans de mariage” ne m’intéresse pas. Il y a quantité de modes d’emploi aux ressources diverses pour nourrir ce questionnement.

Je m’interroge – mon esprit s’éclate, devrais-je dire – sur la notion même de désir, cette aspiration qui s’apaise – parfois très temporairement, parfois définitivement – à la jouissance. Je n’aurai pas assez d’une vie pour trouver les réponses. Mais si on s’y met à plusieurs, ça ira peut-être plus vite, mais surtout, ce sera plus intéressant.  Oui ?

Sur le plaisir : le clitoris est-il un organe utile ? 

La question claque comme une main tendue sur une fesse tendre : le clitoris, qui n’a d’autre fonctionnalité que le plaisir,  est – il utile ? Ou le plaisir est-il superflu ?

Mon amie Maya dit que je suis une stoïcienne. Elle a raison : je m’accommode de la douleur plutôt que je ne la combats, et je fais contre ma mauvaise fortune génétique bon coeur… Mais, soyons honnête, je savoure avec d’autant plus d’acuité le plaisir qui m’est offert. Je le guette, je le crée, je l’invente et le fantasme, je m’en délecte… Epicurienne chronique, qui choisit quand c’est possible de cueillir la goutte de rosée plutôt que d’attendre la pluie et les cendres.

Est-ce que ce plaisir est utile ? Certainement pas d’une utilité fonctionnelle (sauf parfois, pour soigner ma migraine). Cette existence vaut-elle “la peine” s’il n’y a pas de plaisir ?  Est-ce que le plaisir est nécessaire à ma santé mentale ? A ma quête d’esthétique dans le monde ? Peut-on vivre sans plaisir – quelle qu’en soit la source ?

Sur la conscience comme dialectique entre expérience et pensée

Quand, au détour d’une phrase, par un geste ou une attention, une courbe, un sourire, bref un truc, je réalise que l’être à qui je m’adresse me plaît et éveille en moi des envies de siestes méridionales, de 5 à 7 sulfureux ou de petits matins jouissifs, d’où vient cette envie ?  Est-ce mon corps ou ma conscience – cerveau – âme (il faut choisir, je ne sais pas choisir. #AspieGirl), qui désire ? Moi, certes. Mais quoi en moi ? Qui en moi ?

Evitons d’emblée le coeur : les prémisses sont de l’ordre de l’excitation, du défi, du manque, de la séduction, de l’envie, de l’admiration, mais pas encore de l’amour.

Gardons le duo classique corps / esprit, ou plus précisément sexe (mais les seins, mais les reins, mais les fesses, mais le cou) et cerveau.

Sauf que.

Que mon esprit lutte, ou succombe, je crois décider. Puis-je dompter la tentation ?  Sans doute cela est-il fonction des barrières morales, de ma conception des relations privées, de mes limites, du moment, de … Bref, de ce que j’ai appris, choisi, intégré comme éléments de conscience.  Pour le coup, force est de reconnaître que pour moi, ce sont des balises mobiles au fil du temps, de l’expérience, de la connaissance de moi-même et des relations humaines.

La boule au ventre, l’hésitation, l’angoisse ou l’excitation (oh, l’angoisse de la première inclinaison – Note de l’autrice :la bandaison est aussi une inclinaison), l’espoir, le ventre à papillons avant , enfin, un baiser, la première caresse, la main sur le torse ou dans les cheveux, le geste teinté d’affection – de désir , le mot de trop qui porte trouble, le basculement entre “ Il me plaît… Mais est-ce que moi je lui plais ?” (étape angoissante), et “Nous nous plaisons, un moment viendra où peut-être nous folâtrerons dans un lit, heureux, joyeux et insouciants” (étape enivrante)… À chaque étape du désir naissant, les manifestations sont physiques : une impatience, les seins électriques, le sexe hypersensible, la peau comme électrique, les mains moites parfois, la rêverie permanente, la perte de sommeil, … Oui, tout cela est très physique.

Qui vient en premier ? La conscience du désir ? Sa manifestation physique ? La prochaine fois que vous tombez sous le charme, observez. Et racontez-moi.

Est-ce votre corps ? Votre esprit ? Vos rêves ? D’où vient en premier ce signal clair et qui ne laisse aucun doute, cette étincelle nacrée qui dit “Cette personne me plaît. J’aimerais y goûter. “ ?

Et le plaisir, ma chère Nora, me direz-vous ? J’y viens, lentement, sûrement.  Mais pour cela, je vais lire un autre livre. Du même auteur, je crois.

 


PS : Pour les participants aux conversations sexuelles,  projet ouvert dans le cadre de mon prochain roman, c’est un sujet que j’aimerais aborder avec vous. Oui ?