Plus près

It’s a new day…

A dix mètres, je vous ai vu sourire. Il y avait la foule et le bruit, ces heures publiques, belles robes et échanges polis. J’avais encore, quelque part entre la conscience et l’oubli, les tensions du jour, les mots qu’on ne dit pas pour ne pas blesser ceux qu’on aime, les trop longs silences et les renoncements. Je voudrais tout vivre, l’élan spontané et le mot réfléchi, le respect absolu et la saillie cavalière, les confidences les plus émouvantes et l’ignorance légère. Vous souriez, en toute connivence, d’un jeu qui n’avait pas encore commencé. Sous ma robe pourpre, ça palpitait comme un émoi : c’est ce que provoquent les corps reconnus, quand je sais sous l’étoffe la peau douce, quand malgré la laine et le coton, je vous vois comme nu. 

Le verre à la main, bulles insolentes, vous approchez. J’ai passé la main dans les cheveux, héritage inutile, le geste machinal, se donner une contenance, signal éculé des conquêtes faciles. 

Le piano avait réveillé mes pieds, et les cuivres mes hanches. Mais quand les riffs de guitare ont résonné, ces indomptables transes ont commencé. Les reins comme le feu, les yeux mi-clos, l’abandon à la musique, le corps indécent. La soie qui frôle les mamelons, et le sourire absent. Vous êtes les doigts, je suis les cordes, glide soyeux, je perd pied. 

A un mètre, vous murmuriez la tentation. Le feu délicat sous l’étoffe, quand le sexe s’éveille de deux mots glissés tout bas, comme une averse de fin d’été, une soumission inconditionnelle au désir, un ordre et une supplique, vous avez dit “Baise-moi”. Mes épaules roulaient en terre de blues, vous fixiez mes seins sans la moindre pudeur, sourire vorace et regard doux. Le parfum de cuir et de tabac, les bulles, cet éclat de provocation dans la voix rampaient sous ma peau comme frisson. J’ai souri de votre audace, comme on se réjouit d’un possible plaisir, sans urgence. Goûter chaque pas.  

A vingt centimètres, j’ai ouvert les bras. Votre main autour de ma taille, ferme et douce à la fois, les danses instinctives, le pas souple et l’élan flamboyant. Ma robe vole, bal impromptu aux allures de scandale. La distance s’amenuise, je respire votre parfum de bois. Cet air interrogatif qui ne vous quitte plus, je ris, car je sais déjà. Oui, je vous baiserai. Je vous emmènerai là où vous ne pensiez pas, en terre de coquelicot, là où le cri est plus beau que les mots, où les plaisirs ne se comptent pas. Je vous baiserai et vous aimerez cela. Je vous vois hésiter de mon silence, je m’en veux – un tout petit peu – , et caresse d’un doigt votre main dans la mienne. Vous souriez, again, vous approchez.

A pied contre pied, j’ai senti contre ma hanche votre sexe droit. Et j’ai ondulé mutine, amusée je vous ai flatté. C’était léger comme plume, il y avait la promesse mais pas l’instant, le possible, simplement. Le corps gagnait sur le principe, et cela suffisait à ma joie. Autour, le brouhaha, la musique, les rires gras. Peu importe. J’ai fait ces paris stupides contre moi-même avant tout. S’il sourit je dis oui. S’il prend sa veste avant trois chansons, je l’embrasse dans la rue. S’il frôle mon sein avant que mon verre soit vide, je l’emmène à l’hôtel. En moins de deux, vous étiez collé au mur gris, j’ai mordu votre lèvre, souri, j’ai dit “Suis-moi”. Vous : “J’ai envie et j’ai peur. Montre-moi.”

A peaux collées, j’ai posé la main sur votre sexe. La robe, la soie, la laine et le coton étaient éparpillés sur le plancher de bois. Je vous craignais hésitant, vous étiez fier, tendre et dévorant. De bouche à épaule, de main à sein, vous exploriez mes territoires comme un voyage en terre d’ébat. Mais je voulais vous voir, vous regarder par en-dessous, de côté, debout et droit. Apprivoiser la peau. Effleurer de l’ongle et regarder le frisson s’étendre du mamelon à l’aine, et votre soupir, votre rire à bouche sur les côtes, votre tressaillement quand ma main enroulait votre dard, juste sous le gland, pouce sur la veine, chaleur sous  mes doigts. A langue, vous gémissiez, baissiez les yeux vers moi. Agenouillée contre, tout contre, je sais ce que vous voyez : les vertèbres et le cul, la cambrure improbable. La peau délicate entre mes lèvres glisse, vous reculez. “Baise-moi”. Alors à bouches dévorantes, seins contre côtes, nous avons repris la danse, hanches siamoises dans l’émoi, et vertige des premières fois. Le mur nous soutient, vos cheveux dans mon cou, vous goûtez, je savoure, le sol nous accueille, ça rit, ça chevauche et ondoie. Vous hésitez. Vous souriez. Les yeux dans les yeux. Lentement, mon sexe avale le vôtre, centimètre par centimètre, mes genoux autour de vos hanches, vos mains agrippées à mes fesses, et puis cet instant suspendu, quand le soyeux de ma chair rejoint votre peau, quand la valse se fait tango, la cavalcade du plaisir, un temps infini, le scintillement des ventres, votre abandon parfait, convulsion. Longtemps, nous sommes restés juste là, immobiles sur le plancher, les corps emmêlés. Vos mains les premières se sont réveillées. Puis votre sexe. Vous avez dit : “Maintenant, à moi”. Et vous avez pris mon cul, comme on offre l’absolu. 

A lit, vous avez parlé. Du plaisir, du doute, de la fragilité parfois. Je vous ai dit la vie, les petites victoires, le goût d’ailleurs, la liberté d’être soi. Nous avons partagé le lit, et les rires, et la joie. 

Au petit matin, je vous ai embrassé.  J’avais goûté votre corps, joui de votre bouche, dormi contre vos cuisses. J’avais le cœur léger. Les cheveux en bataille, le ventre saturé de foutre, les reins moites encore, j’ai enfilé les bas, couture droite, fixé la jarretelle, enfilé la robe trop élégante pour le jour venu, essuyé de mes yeux les dernières traces de factice. Mes cernes bleutés avaient l’indécence des nuits noyées de joie.

And I’m feeling good.