Tendre Gabriel,

6 janvier 2022

Tendre Gabriel, 

Les jours filent comme autant de perles d’un chapelet lubrique. Je suis à peine remise de notre innocente rencontre. Foutredieu, Gabriel, je pensais que ton goût était de répandre la pluie sur les mâles fessiers… L’habileté de ta langue à chercher le soleil entre mes cuisses était telle que j’ai cru que nous étions en juillet, la mer me léchant les orteils, le souffle court, la peau brûlante et les frissons de froid après l’effort.

Tu sais ? Ces instants me sont précieux et souriants. J’aime nos fous rires quand on s’égare un peu trop, oubliant l’un et l’autre qu’a priori, nos vies sont parallèles plutôt que convergentes.  Merci, Gabriel. Merci d’avoir placé le sexe dans le lit de l’amitié. Cela me manquait, cette relation bizarre et sans nom, reprise dans aucun livre sur les sexualités, mi-camarades de sport, mi-amants lyriques, littéraires inclinaisons, entre surenchère lexicale – de tes fuck à ma pâmoison – et pure jouissance de chair. 

Il n’est de plus joyeux rire que dans les nuits sombres, Gabriel. J’aime cette aventure, ce voyage sans destination qui nous entraîne de plus en plus loin à la découverte d’autres mondes sexuels. Tu sais, avant que tu m’y emmènes, jamais je n’étais allée à une soirée libertine. Trop timide ou trop sauvage, va savoir. Les deux, sans doute. C’était lumineux, entre renaissance et égarement.

J’ai aimé me préparer avec toi, choisir la dentelle et la robe, aussi stricte qu’indécente.  J’ai savouré ce repas carnassier, ce vin âpre au goût de bois, dans l’intime restaurant. Il me fallait ce temps pour entrer pleinement dans le jeu. Détendre les muscles. Apprendre à sourire. Laisser cet inconnu soulever mes cheveux pour embrasser ma nuque, tandis que nous décidions des défis du jour. Nous retrouver complices avant de monter sur le plateau du stupre.

J’ai goûté la salle des velours, et celle du cuir. J’ai bien vu que toi aussi. Oh, ne rougis pas. Ce n’est que moi. Tu sais que je vois ces détails, trois doigts qui contraignent le sexe, parce que ce n’est pas encore l’instant. J’ai adoré te voir séduire ces mâles qui me plaisaient, voir ton sexe se libérer enfin aux mains qui empoignaient tes hanches. J’ai encore en tête ton regard trouble quand tu as joui dans la bouche de cet homme, à deux mètres de moi, alors que mon amante de l’instant suçait mon sein avec talent. Ce regard m’a fait rougir plus que toutes nos confidences. Avons-nous partagé plus intime que cet instant d’extase conjointe, chacun selon son goût, les yeux dans les yeux ? 

Cette amitié avec du sexe, Gabriel, est un trésor pour ma créativité. J’ai beaucoup écrit, depuis cette soirée. J’ai beaucoup joui, aussi. Je pense que je vais accepter ta proposition, et dresser enfin la liste de ce que je n’ai pas encore vécu, puis les accomplir méthodiquement. Tu me donneras l’assurance ? Tu me tiendras la main pour ma première orgie, dis, oui ? 

Mais alors épuisés et repus de tant de vits, que ferons-nous de tous ces instants improbables ? Un récit indécent ?  Un scénario parfait ? Je te laisse mesurer l’ampleur de cette tentation, telle une myrrhe lubrique, une perle cachée dans l’abricot. Je sais que tu auras à coeur d’en goûter saveur et parfum, d’explorer tous les chemins de l’épilepsie synchrone, d’abord du verbe, puis de la langue.

Tandis que je t’écris, la chatte vient se lover sur mes genoux. Elle aussi, réclame son lot de flatteries. Retrouvons-nous au printemps, veux-tu ? Je te lirai mon manuscrit. Tu me corrigeras fermement. Aurons-nous assez d’une nuit ?

Sincerely yours, 

Nora Gaspard

PS : Mon amant a particulièrement apprécié ces quelques astuces que tu m’as glissées à l’oreille. Le truc avec la langue pendant la fellation a eu des effets spectaculaires. Evidemment, la musique onirique qui accompagnait cette nuit psychédélique a donné le rythme à ses reins conquérants. Connais-tu cette merveille ? Ses 16 minutes conviennent parfaitement à l’extase. Goûtes-y avec endurance et entrain, suis les oscillations du micro, l’hypnotique flûte et danse, Gabriel, danse… Ton plaisir n’en sera que plus grand.

La musique : Sweet Smoke, Baby night

Ce texte répond à celui-ci, “Lettre innocente”, par Gabriel Kevlec